Diary, (Cahier A), 1925 Oct. - 1941 May 7

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39 Du beurre, des fayots, de la crème et du miel ? Hélas, que ne puis-je te suivre Vers ce rivage heureux – loin de rutabaga ! C’est là que je voudrais vivre Bouffer et mourir – c’est là ! 9 avr[il 1941]. M. Berlant me montre les articles de la loi sur l’organisation de l’enseignement technique ; il faut que le directeur ait fait un enseignement technique. Il n’y a donc plus d’espoir pour moi d’y être admis. M. Pruner me conseille de brûler les revues ; sa cave au temple n’a pas de place. Les meilleurs de ces rabbins sont des hommes lamentables. – M. Scialtiel, un type de stachélé, veut m’envoyer un kilo de pain azyme par un réfugié de la rue Beaumont. Arrivera-t-il jamais, ce kilo ? – Rencontré M. Durlach, un crampon ; il me donne chaque fois l’occasion de me dire que ma chance était grande à [geo] Strasbourg [/geo] de l’y voir si rarement ; son cousin Myrtil savait se rendre plus supportable en se faisant plus rare que lui qui au fond ressemble plus à un intellectuel que Myrtil qui s’est désigné comme tel trop souvent. Et chaque fois que les hommes me paraissent ridicules, je me demande, du reste sans curiosité, ce qu’ils peuvent penser de moi. Alors je retombe dans mon

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40 état d’indulgence à base de mépris mélancolique. 10 avr. Assisté à la réunion des Alsaciens-Lorrains ; juste 12 semaines depuis le départ de M. Schumacher. On veut organiser une fête régionale des Alsaciens, fin mai. Directeur du comité des fêtes M. Salomon (catholique) frère du maire de [geo] Mutzig [/geo]. – Dans l’après-midi visite de M. Stoessinger qui n’a rien à manger, trouve le climat de [geo] Nice [/geo] exécrable, son appartement abominable et voudrait obtenir le visa pour son départ en [geo] Amérique [/geo]. A des connaissances littéraires qu’il devrait approfondir pour mieux juger. Sa femme se tue en faisant des chapeaux aux réfugiés, sans avoir la permission de la police. Misère de l’émigration. 11 av. Rencontré devant L’Éclaireur M. Gervais (angl) dont le fils n’a rien à manger en captivité allemande ; a perdu 14 kilos. Ses parents lui envoient des colis en se privant sur eux-mêmes, ce qui se voit, mais a l’espoir de la victoire. Survient M. Guillot censeur qui ne peut s’expliquer que les soldats anglais renversent un jour les Allemands qui, en 1944, peuvent encore se nourrir avec les moyens qu’ils trouvent en Europe et qu’ils se procurent par la science. J’avais l’impression que ceux qui mesurent les choses avec les raisonnements logiques ne voient pas loin, succombent à des arguments spécieux et s’adonnent d’autant plus facilement

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41 à des convictions qu’ils croyaient ne pas avoir et qui naissaient tout de même dans leur subconscient grâce à des propagandes ou des espoirs venus du dehors. On les appelle les gens de bonne foi. C’est qu’ils n’ont pas la foi. Celui qui a la foi ne consulte pour les choses passagères de la vie moins la logique qui s’adapte à toutes les circons-tances mouvantes, mais se tient à la foi qui donne à la vie une direction, une règle et un terme qui dicte toutes les convictions et toutes les espérances. C’est une des raisons pourquoi il faudrait imposer à la foule la contrainte de se soumettre à l’autorité des gens qui ont la foi et par là une vue supérieure des événements humains. C’est la veille de Pâque. Ai envoyé à Ernest Weill un extrait de la lettre de M. Georges Benoît-Lévy avec la prière de lui répondre. 12-13 avr. Assisté à doukhen des cohanim de la kehila Dubinsky ; avant j’ai été appelé à la tora et M. Barache n’a pas voulu faire la bénédiction pour le don ; j’ai insisté au prix de 25 francs – Visites : Mme David, M. & Mme Durlach, Mme Lattès, M. Mme Barache, Lyon, Mme Carmen, M. et Mme Kahn. Entre-temps M. Arthur Plent a envoyé de [geo] Roquebillière [/geo] coq, œufs, pommes de terre, légumes & un morceau de lard. – Mme Suzy Weill est venue nous inviter au Royal pour lundi ; M. & Mme Paul Bloch, M. & Mme Gottlieb qui a une convocation pour mardi à la sûreté ; est

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Right page 42 très inquiet ; se sent depuis longtemps surveillé. Mariette a fait un séder pour ses invités sans viande. 14 avr[il 1941]. Hôtel Royal fait la connaissance de M. Gabriel Dreyfus qui connaît Myriam et Lucien Blum, de Benfeld ; à leur niveau ; sait le yiddish et l’anglais. M. Georges Weill en bonne forme, type intelligent. M. & Mme Grossmuth, parle de son beau-frère Cerf, à [geo] Clermont-Ferrand [/geo]. 15 avr. Assisté à la réunion des réfugiés alsaciens avec M. David. Discussion violente causée par un colérique M. Douchemann qui voulait distribuer les 4 000 francs reçus du maire pour les réfugiés comme délégué du comité, pendant que M. Larchur, seul capable et organisateur de la coopération des pommes de terre et confitures, voulait l’argent [du] provisionnement pour pouvoir faire les achats. Remerciements à M. Villemin qui organise la fête folklore. Inscrit dans la société. Les israélites peu nombreux : M. Durlach, Bauer, Paul Weill, Lauzentz, Simonin. Aspect intéressant d’une assemblée de réfugiés rappelant les descriptions de Vogt et de Boerne des gens de 48. Les Lorrains dominent, sachant la langue et étant plus nombreux. – Vu M. Petitjeau (aveugle de guerre) de l’office des pupilles de la Nation à la préfecture de [geo] Strasbourg [/geo]; il vit avec sa mère après avoir perdu sa femme ; très bien conservé ; mémoire étonnante, se rappelle les affaires qui nous ont réunis à [geo] Strasbourg [/geo]; détestait M. Lamarche. – 16 avr. Passé l’après-midi avec Suzy à la Villa Jacob, où est mort M. Messiah. Le soir M. Zeckendorf vient chez nous ; il raconte qu’un

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43 aveugle, dès sa naissance, a réalisé la meilleure définition des couleurs dans un livre sur la peinture. Il a oublié le nom de l’auteur. Recommande contre les maux de gorge les chlorates de potasse en pastille. Finalement la Jeanne raconte que dans 1 (!) mois [geo] Nice [/geo] serait occupé et les Français doivent quitter ce pays ; les Allemands sont déjà au [geo] canal de Suez [geo], ce qui n’est pas vrai. 17 avr. Lettre de Mariette, se plaint du ravitaillement, affreux à [geo] Marseille [/geo]. Son mari a des furoncles. Henri David vient demander si nous connaissons ici des Flegenheimer. Par hasard, Mme Julienne David nous dit plus tard qu’ils habitent les Empereurs. Je vais lui dire cette nouvelle, en sortant je rencontre M. Lyon, ami de M. David, qui m’accueille froidement. Pris de douleurs dans l’aine, je me traîne chez Dr Guetchel qui trouve des varices dans les bourses, varicocelle et me prescrit un suspensoir. Mme J. David reste avec nous, je ne vais pas au temple et la reconduis après le dîner. 18 avr. J’ai cherché le suspensoir. Le matin passé avec le fils de Benoît-Lévy, agréable, sympathique, aucun intérêt juif, laisse voir le désaccord domestique et juge, comme le ferait un autre gentil, que la religion ne fait que diviser. N’a pas de culture supérieure. – Marthe a une petite bronchite, cataplasme, thé. 19 avr. Dernier jour de Pâque, avoir assez de pains azymes pour faire la bénédiction ;

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44 au temple rencontré M. Gottlieb, son affaire de police inoffensive. Les deux enfants Bader, on s’embrasse au temple, se fait bénir par le rabbin, mœurs méridionales. Visite de Mme et M. Bader qui raconte les affaires qu’il fait, ces juifs ont un don de faire des affaires, déformation mentale par les nécessités et habitudes capitalistes. Est-ce que la guerre terminera cette époque ? En attendant, il gagne plus que ma retraite annuelle en faisant l’intermédiaire de la vente de mille chemises de soie. M. Raymond Lehmann rapporte la bague de sa sœur. 200 000 ; Marthe lui parle de sa sœur ; il est renseigné. Elle était soûle au restaurant où il a mangé avec elle et disait perpétuellement merde. Sa fille se soûle aussi. Il constate tout cela avec résignation ; bonne tête de médiocrité. Issue de la fête. Pourra-t-on la célébrer aussi bien l’année prochaine ? On n’y sera pas à [geo] Jérusalem [/geo]. 20 avr[il 1941] . Visite à M. Georges Weill, Méditerranée ; il est juif en ce sens qu’il est irréductible à se maintenir, prêt à faire des sacrifices, par exemple pour ORT, mais faible et impréparé pour l’action religieuse. Il est de ceux qui commencent à soupçonner la portée des événements qui changeront notre façon d’être juif. – Visite de M. Robert Kirchberger, collègue de Jacques, qui a déjeuné avec nous, correct, poli et vide. – M. Rabinerson est venu dire qu’on a fermé le magasin du boulanger Mrovka qui avait vendu tant de matzes qu’il a fait un don de 1 000 francs devant la Tora ; j’ignore son crime. Il croit à la

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45 victoire anglaise. 21 avr. La facture de la communauté pour mon don de 25 francs du 13-IV est déjà venue ; bravo ; on s’occupe d’avoir son argent pour empêcher les fraudeurs de profiter de l’oubli. – Le fils de Mme Stoessinger (du premier lit) apporte deux chapeaux à Marthe ; depuis 7 heures jusqu’à 21 heures il fait le ménage, cuit, récure et fait les courses dans les maisons, à peine at-il le temps d’apprendre l’anglais pour devenir ouvrier d’usine aux États-Unis, s’ils le laissent entrer. Deux fois par semaine, il va à l’école des arts décoratifs pour dessiner, a donc un talent ; pour le reste il est l’esclave de sa mère qui travaille jour et nuit comme modiste. Misère noire, autour de vous. – Parlé à Guastalla, verrai, s’il vient chez moi. – M. Kahn-Bader ne croit pas à la victoire anglaise ; sa petite-fille doit venir chez moi demain pour apprendre l’hébreu et prendre des leçons particulières en latin. – Lu discours sur la foi par Loeb 1868 à Saint-Étienne ; remarquable. – 23 avr. Monté avec Mme David rue d’Anvers chercher de la confiture chez M. Sarcher, maire de Clouange. Elle raconte d’un cousin à son mari Herr Doctor Baudirektor allemand mala-de à Cannes. – Reçu lettre Ernest Weill qui écrit à Benoît-Lévy ; inclus lettre de Schnurmann qui parle d’une réunion des traditionalistes pendant une huitaine ; il a le don de rester dans le vague. Mariette écrit que M. Kirchberger était enchanté de notre

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46 accueil ; je ne me serais pas étonné ni effrayé du contraire. – 24 avr. Convoqué par M. Berlant qui me présente à ses collaborateurs. Après la séance, il me dit que l’inspecteur technique est un ami des juifs qui veut que ORT s’ouvre et qui explique que si la Loi exige comme directeur un technicien, c’est pour une école. ORT ne fait que des cours, donc ce Dreyfus peut faire votre affaire et puisqu’il n’a pas quitté le service depuis longtemps, il n’aura pas besoin de présenter son casier judiciaire que les autres doivent chercher à la préfecture. Un de ces jours, on fixera les cours de français que j’aurai à donner. Mme Richeris vient excuser son fils qu’ils ont envoyé à la campagne, parce qu’il ne fait rien, si ce n’est courir les filles. Elle apporte des œufs et demande la facture. Plaque à la Villa Jacob, moche, plaque communale, dit M. Georges Picard. Le rabbin, pour moi, un Fatzke, fait une allocution aussi moche que la plaque ; avec des compliments pour S. L. Tout le monde sortait insatisfait. – Je dis en regardant M. Barache : Étiez-vous un adorateur de Léo Delibes ? – ? ? – Parce que vous portez sa barbe. – Lui : Je ne le savais pas. L’homme le plus distingué est certainement M. Georges Picard. Taille, regard, conversation, en tout un monsieur, un homme du monde. Mais sa femme prouve que plus un hom-me est distingué, moins la femme peut se comparer à l’homme qu’elle a choisi. La mère de Georges Picard par contre est une châtelaine. – Visite de

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47 (48 et 49 sautees par erreur) trois éclaireurs israélites qui sont attachés au cercle d’études de M. Gribenski : Guastalla et les deux frères Castoriano. On verra ce qu’ on pourra faire ici pour ces jeunes gens. 25 avr[il 1941]. Carte de Mme Munz, rien ne coiffe mieux une personne que l’art d’être reconnaissant. Marthe a pleuré quand elle a lu sa carte de [geo] Lisbonne [/geo] que nous conserverons. – Il pleut toute la journée, ce n’est que vers le soir que je peux aller chez Mme David qui avait écrit à Marthe, souffrante. Elle me donne du beurre et des œufs. Quand la femme de chambre entre pour s’occuper à la masser au dos où elle était tombée la veille, elle la renvoie en lui disant que le docteur est là. J’ai éclaté de rire. – Mme Zeckendorf nous fait une visite pour rapporter le machezor et la Aggada. Elle raconte de sa famille pieuse ; son père l’a élevée très simplement, sans cinéma, sans danses : « Quand l’ange demande à Abraham : où est la femme Sara, il ne dit pas qu’elle est partie à une danse ou au cinéma, il dit qu’elle est à l’intérieur de la tente. » 26 avr. Visite du Dr Guetchel qui prescrit à Marthe des inhalations et des cachets contre la tension, pendant que j’étais au temple. Là on a ouvert violemment la porte vers l’oratoire achekenazi où une fois de plus une bagarre a eu lieu. C’était comique de voir le père

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50 Bussidor courir avec le chapeau enfoncé ; et le rabbin de gesticuler. – Chez Mme Ewselman. Elle a une lettre de journal où je lis que les Allemands ont introduit en [geo] Alsace [/geo] leur école officielle en supprimant toutes les institutions libres religieuses, très sévère pour tout ce qui est catholique. L’enseignement religieux ne sera plus que la récitation des prières enseignée par leurs maîtres, à l’exclusion des frères et sœurs catholiques. – Reçu une lettre de Mariette qui dit que Monique voudrait revoir pépé et mémé ; elle achète des noisettes à pépé qui, il y a deux ans, était le méchant pépé, va-t-en. Les enfants changent aussi vite que les grands. 27 avr. L’après-midi joué au whist avec les Zeckendorf. Le docteur dit son intention de partir ; l’antisémitisme ne fait que croître, difficultés de ravitaillement. Un ami a retenu en même temps une place au bateau et au Clipper ; ayant eu le Clipper, il a vendu la place au bateau. Ce n’est qu’une question d’argent. – Puisqu’ils en ont beaucoup, ils peuvent facilement faire le voyage en [geo] Amérique [/geo]. Leur bru les accompagnerait. – Retenu chez M. Barache la place de Mme Loewenstein au temple. 28 avr. Passé 2 heures chez M. Berlant, discuté programme coiffeur. Il raconte qu’en voulant faire une visite à M. le rabbin une dame qu’il prenait pour une gouvernante âgée est venue le prendre au bras pour mettre doucement à la porte : M. Schumacher ne reçoit pas.

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