Diary, (Cahier C), 1936 Jan. 16 - 1942 Aug. 23

ReadAboutContentsHelp


Pages

Page 61
Indexed

Page 61

Left page

32 Envoyé à Isidore Ebstein deux signatures légalisées pour l’hébergement de ses fils Louis et Fernand qui voudraient venir à [geo] Nice [/geo]. Le soir on discute avec les David le voyage à [geo] Châteauneuf [/geo]. Samedi 18. Au temple, appelé à la Tora ; le sabbat [Hebrew] חזון [/Hebrew]; très bien chantée par le jeune Dana, la haptara me fait une profonde impression, bien que le jeune homme ne sache pas bien lire l’hébreu qu’il ne comprend évidemment pas. – Madeleine, de [geo] Nîmes [/geo], nous communique la mort de sa mère Aline survenue le 30 juin ; elle a attendu 17 jours pour nous le dire et oublie l’adresse qu’elle a à [geo] Nîmes [/geo]. Elle avait 75 ans. Triste issue pour cette famille, Roger est quelque part entre les mains des Allemands, me dit-on. Des malheureux ; un chapitre significatif du judaïsme français. – Le soir joué au whist chez les Zeckendorf qui me donnent deux volumes de Pearl S. Buck à lire, professeur à l’université de Nankin, prix Nobel de littérature 1938 sur La Terre chinoise . 19 [juillet 1942]. Visite des Durlach revenus hier soir ; ils ont mangé du beurre, du beurre, je vous dis du beurre, rien que mangé, et mangé et se sont procuré des adresses pour le ravitaillement hivernal. Pas un mot qui m’intéresse que le nom de quelques israélites qui trafiquant avec les Allemands font fortune. À [geo] Paris [/geo], tout le monde fait fortune. Son frère Marcel est aussi devenu millionnaire, mais à Paris, pour être chic, il

Right page

33 faut être cinquante fois millionnaire en francs français ! Quelle morale ! La corruption a saisi aussi les fonctionnaires. Dans ces temps, il est normal et juste que les gens bien souffrent. Le soir chez les Durlach dont l’appareil ne fonctionne pas, Monsieur est mal disposé, un déséquilibré, et nous nous demandons comment sa femme s’arrange avec un compagnon évidemment malade qui dit à M. Bloch venu pour le saluer qu’il ne doit pas toucher à sa TSF, il est énervé et ne supporte rien du tout, tout cela sur un ton que nous-mêmes voudrions partir. Il se charge du reste de porter notre boîte à bijoux avec notre trésor impérial chez Madame M. Lundi 20. Cherché les cartes du ravitaillement, allé à ORT chicané honteusement par les autorités, fait une visite au Dr Lévy et Madame, envoyé 16 500 francs à Hicem-France 425, rue Paradis, à [geo] Marseille [/geo], strophantus, enveloppes, toutes sortes de courses pour préparer le départ. Tante Cécile envoie les photos de Monique jouant avec les enfants et en même temps le refus de Vichy de nous accorder un wagon pour les meubles. Marthe écrit qu’il faut les vendre, si les Ebstein ne veulent pas les prendre. Le soir j’expédie une seconde lettre qui motive mon changement d’avis : Roby qui a perdu du temps précieux n’a qu’à envoyer par colis individuels les effets dont l’expédition par petite vitesse ne peut coûter trop. Ai-je bien fait ? Quoi qu’on fasse, on fait mal. Mais l’affaire ne m’émeut pas du tout. Je n’attribue pas à Darquier le refus du wagon. Un aryen s’y serait aussi exposé.

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 62
Indexed

Page 62

Left page

34 Mardi 21. Départ avec les David à 11 heures, arrivée dans un autobus cahin-caha vers 2 heures. Paysage magnifique, confort nul, repas à peine suffisant. Remettons le jugement à demain. 22. Marthe part à 7 heures chercher des effets oubliés. Commencé à lire Pearl Buck, Les fils de Wang Lung, Payot 1933 (6e tirage avril 1941) style grave, soutenu, lent, pathétique exprimant l’esprit et l’atmosphère dans laquelle vivent ces Orientaux. Cela vous captive à partir de la première ligne. Un luxe de détails décrit la mort d’un Chinois riche. A côté de son lit se dressait le cercueil énorme placé là pour sa consolation. Sa main jaune défaillante caressait le bois noir et poli. Sa jeune concubine fleur de Poirier restait à son chevet jour et nuit et ses deux fils s’empressaient de le consoler chaque fois qu’il se lamentait de sentir son âme se dérober. On le réconfortait par la description de l’enterrement grandoise auquel assistera toute la ville. Sa première concubine Lotus une des premières visites après sa mort. Les prêtres avaient à délivrer les sept esprits du mort, tous les sept jours leur chef allait trouver les fils pour leur dire : Il y a encore un esprit qui s’en est allé de lui. Ils lui donnaient chaque fois de l’argent. Derrières les porteurs du cercueil, le palanquin destiné à l’esprit de Wang Lung. L’épouse de Wang aîné pleurait décemment, la concubine que son mari avait prise un ou deux ans plus tôt, observait l’épouse pour pleurer quand elle pleurait. Fleur de poirier la seule qui ait observé réellement et sincèrement un deuil.

Right page

35 Le deuil pour un père dure trois ans. Mercredi 22 [juillet 1942]. On se donne du mal pour nous nourrir, et arrive à peu près ; si à l’avenir on nous sert comme aujourd’hui, on s’accommodera du reste pour passer quelque temps ici. [strikethrough] Marthe est allée à Nice chercher des effets oubliés. [/strikethrough] Les fils de Wang Lung p. 106 Wang l’aîné ne serait pas allé seul la nuit parmi les tombes et il croyait secrètement les mille contes qu’on délite au sujet des esprits ; il avait beau affecter d’en rire tout haut, cela ne l’empêchait pas d’y croire secrètement. p. 108 A midi les dames n’en sont encore qu’à se retourner dans leurs lits et allonger la main pour prendre leur première tasse de thé. - p. 142 Un fusil était un objet très précieux qui pouvait se vendre pour un tas d’argent et quelquefois des hommes volaient un fusil pour le vendre s’ils avaient fait de trop fortes pertes au jeu ou s’ils n’étaient pas payés depuis des mois quand il n’y avait pas de guerre et partant ni butin ni rentres d’argent. P. 126 Wang le tigre était compatissant au fond… il lui arrivait de s’attendrir en secret. P. 201. La tigresse qui avait crache en plein dans les yeux de Wang le Tigre avait de grands pieds qui paraissaient n’avoir jamais été comprimes, et cela n’était pas de règle dans ces régions pour une femme qui provenait d’une bonne famille. P. 202 Malgré sa profonde colère, il avait une faculté de patience aussi forte que s’il n’eut pas été en colère. 23. On s’habitue à vivre dans les conditions simples qu’offre cet endroit,

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 63
Indexed

Page 63

Left page

36 les David sont supportables pour la conversation courante et on se décide à prolonger le séjour. p. 63 Sa mère lui avait transmis ce regard ferme et sa bouche serrée et son air d’avoir les qualités du roc dans la substance même dont sa chair était faite. p. 132 Wang le Tigre était un homme bizarre : il refusait de manger plus qu’il n’en avait besoin pour apaiser sa faim et il refusait de boire plus qu’ à sa soif. p. 141 Il s’était produit dans sa jeunesse un tel scellement de ses sources vives qu’à la vue d’un visage de femme il se faisait un arrêt dans son cœur et il se détournait. p. 212 La fontaine scellée en Wang le T. se débonde et une telle passion en jaillit dans son sang qu’il se mit à trembler sous son uniforme de soldat. Cette fois, ce fut lui qui baissa les yeux devant les siens à elle. Elle était à présent plus forte que lui. p. 213 Seule une femme loyale est capable de donner a un homme son vrai fils. Vendredi 24. On nous fait une cuisine assez médiocre, mais suffisante et vu qu’à [geo] Nice [/geo] règne la chaleur et la disette, on a l’avantage de rester ici où il fait beau et bon. Ainsi la villégiature est agréable et on peut être content de ce qu’on a déniché finalement. C’est le repos. Des journées sans histoire ; le maire, homme intelligent qui revient d’un voyage à [geo] Paris [/geo], se montre peu germanophile. – Le journal annonce entre-temps des victoires allemandes . Les David sont supportables. Je ne me plains pas. – Pearl S. Buck, La Famille dispersée, Payot, Paris 1935, p. 276 Les gens de l’occident nous

---------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

37 surpassent par leur esprit inventif, leur energie et leur esprit d’entreprise. - Nous l’emportons par notre patience, notre comprehension et notre longue endurance. P. 277 Je n’ai jamais vu une femme en pays etranger endurer ce qui lui deplait et c’est pourquoi elles sont arrivees au point ou elles en sont. L’impression que laisse le livre de Madame Buck : La pureté du représentant de la jeune génération garantit l’avenir d’un pays appelé à jouer un rôle historique ; le sol, les hommes, tout est là pour faire naître une civilisation nouvelle et riche. Les nouvelles de [geo] Marseille [/geo] pas intéressantes. On a trouvé finalement le moyen d’envoyer quelques objets à des frais considérables. On verra. Il ne faut pas s’émouvoir pour si peu. La famille Cristini est installée ici. Le jeune André a fait son 2e bachot. Il doit faire la médecine. – On ne fait radicalement rien ici et vit tout de même. On s’observe quand on n’a rien à faire. Impossible de préciser la pensée des David. Nous les trouvons avares, affamés et gentils. Mais ils mangent si mal qu’on se demande le niveau des Strasbourgeois qui ont été considérés comme inférieurs à ces huppés de la société. Madame mange gloutonnement, mais pas aussi vite que son mari, qui fait retentir le bruit de sa soupe et lance les noyaux des pêches de la bouche dans l’assiette. Les deux dévorent des quantités de sel et de poivre qu’ils ajoutent à tous les mets, même au

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 64
Indexed

Page 64

Left page

38 pain. Ce n’est pas écœurant ; parce que nous continuons à manger avec eux. – Si Monique était chez nous, elle trouverait de la société, avec la petite Yvette Dalbéra qui est charmante. – On pense tant de choses qu’on pourrait remplir des pages à l’infini, si l’inutilité de nos pensées (et de nos actes) ne paraissait pas la chose la plus certaine de ce qui se passe dans le monde. Mais les journées passent, et cela est l’essentiel. Nous sommes destinés à passer. Mais après tout, quel ciel, quelle lumière, quel beau pays ! Tout chante la gloire de l’Éternel. Mardi 28 [juillet 1942]. Madame Mayer du 4e vient nous faire une visite. Elle était curieuse de nous voir installés ici. Son mari ne l’intéresse pas, mais les nouvelles de la maison. Madame Prieur n’est pas distinguée, son mari doit avoir son déplacement pour [geo] Vichy [/geo] le 30 septembre. Que ferons-nous de tant de nouvelles ? Jeudi 30. Nous recevons des enfants le télégramme suivant (sans date de départ) : Partons Scattergood West Branch Iowa Home Quaker. Sans nouvelles de vous. Câblez-nous. J’ai immédiatement câblé sans que Mme Dalbéra ait demandé l’accomplissement d’une formalité aucune : Avons écrit Hermine. Santé bonne. Félicitons anniversaire Jacques. La bagatelle ne coûtait que 210,40 francs ; à prix réduits LC . Pourvu que le câble arrive…

-------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

39 Vendredi 31. Visite inattendue de M. Tenenbaum tracassé par la police qui est chargée de l’envoyer au service rural ; un homme des sciences et souffrant par-dessus le marché. Je lui donne une lettre pour M. Berlant. – Son rêve serait d’aller ailleurs ; il est en relations avec un officier belge. Il dit que notre télégramme aurait dû être expédié par le consulat américain de Nice ; ainsi il n’arrivera pas. – M. Lion fait une visite de deux jours aux David. Indigeste pour moi. On s’étonne de voir les D. s’intéresser à tel point à un déséquilibré. Samedi 1er août 1942 (Ekeb ) Dimanche 2. Inauguration du nouveau curé, tout le monde va à l’église. Le christianisme ne vit plus, ses serviteurs survivent à l’étonnement de la foule qui les contemple avec indulgence. Les heures, les journées passent rapidement, même sans qu’on les remplisse. J’étais peut-être plus épuisé que je croyais. Le temps immuablement beau ; la nourriture peu satisfaisante, confort nul, et on ne demande pas mieux que rester dans cette attitude d’observateur des choses qui se déroulent. Mardi 4. Allés à [geo] Nice [/geo], pour régler les affaires de meubles venus de Marseille. Communication de [geo] Périgueux [/geo]: n’étant ni retraité d’ancienneté ni d’invalidité, je suis du barème B et ne toucherai que 3 300 francs. Payé une dette de 151,50 à la BNCI. Parti le lendemain pour [geo] Châteauneuf [/geo], avec les amis des David, les Behrens, des gens bien. Lettre de Myrtil qui a quitté [geo] Bordeaux [/geo] pour [geo] Moissac [/geo] après l’arrestation de son fils Geo-geo. – À la bibliothèque

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 65
Indexed

Page 65

Left page

40 de [geo] Nice [/geo], j’ai consulté l’article Iowa dans le Larousse. C’est un affluent droit du Mississippi, naît dans l’État auquel il donne son nom, longueur 500 km, baigne [geo] Iowa-City [/geo]. C’est un État du centre, dans la vallée du Mississipi, capitale [geo] Des Moines [/geo]. Possède de superbes champs de culture pour les céréales, pommes de terre, élevage du bœuf, mouton, porc, cheval, mulet. Bassin houiller Centre-Ouest, carrières de pierre à Anamosa. Les autres villes [geo] Sioux-City [/geo], [geo] Davenport [/geo], [geo] Cedar-Rapids [/geo]; fait partie de l’Union depuis 1846. Ancienne capitale [geo] Iowa-City [/geo], chef-lieu du comté de Johnson sur [geo] l’Iowa [/geo] 12 000 habitants. Université de l’État. – climat continental, sec et froid. À la poste, un mot à prix réduit à [geo] Iowa [/geo] (télé : LC) : 11,70. C’était 18 mots = 210,40. On avait donc calculé juste. Seize mots tarifés à 187, à [geo] New York [/geo] 125,40. – Départ de [geo] Contes [/geo] par le tramway 14h30, 18h30, 20h30, 21h. – Pour aller de [geo] Contes [/geo] à [geo] Châteauneuf [/geo], il faudrait monter 5 km, 1 ½ h. de marche pénible. – Le télégramme à Iowa expédié le jeudi 30 juillet est arrivé quelque part d’où l’on réclame le prénom du destinataire. Je l’indique à Madame Dalbéra qui le téléphone à la station d’où l’on demande et qu’elle ignore. On ne me fait rien payer pour ce mot supplémentaire. Depuis 3 mois on demande le prénom de l’expéditeur et du destinataire, après avoir augmenté

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

41 la taxe des télégrammes me dit Madame Dalbéra. C’est mercredi et je croyais mes enfants en possession du câble. L’aurontils jamais ? – À 19 heures j’ai senti ici un air si glacial qu’on se dirait en novembre ; cela durait peut-être deux minutes, mais cela vous donnait des frissons dans le dos ; et aujourd’hui est le 5 août. Vendredi 7 [août 1942]. Une vie de repos qui, paraît-il, est nécessaire pour moi. Aujourd’hui une lettre est arrivée des [geo] Bermudes [/geo], partie de là-bas le 22 juin, partie de [geo] Lisbonne [/geo] le 24 juillet. Elle était écrite le 14 et 15 juin très bonne lettre où Jacques est d’un optimisme qui vous fait plaisir, où Mariette fait l’impression d’être satisfaite de leur entreprise et Monique écrit mille baisers. La baronne Gunzburg s’est fait présenter Mariette qui avoue avoir eu le mal de mer pendant que Jacques et Monique avaient le pied marin. Mais ces lettres nous donnent chaque fois plus la satisfaction de les voir s’établir là-bas, loin de ce pays devenu inhospitalier. – Demain c’est le quarante-septième anniversaire de ma majorité religieuse. Le souvenir et la pensée intense me remplacent les marques extérieures complètement absentes ici. La vie n’est qu’un rêve. Lundi 10. Un télégramme de [geo] Iowa (Iowa-City) [/geo] Reçu câble, félicitons ton anniversaire. Nous a fait grand plaisir. C’était la réponse de mon télégramme du jeudi 30-VII. Ce télégramme arrivé juste à midi a transformé tout l’aspect de la journée qui était mon 60e anniversaire. Ma femme avait trouvé des bonbons introuvables. Au déjeuner, on servait

Last edit about 4 years ago by amoloney
Displaying pages 61 - 65 of 69 in total