Journal, 1945

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Item 6

Left page quelques-uns de nous qui attendaient tout des boches déclaraient possible notre extermination. Mais dans notre esprit pessimiste de condamné nous pensions encore que toutes les nouvelles étaient bobards et que notre captivité et esclavage seraient perpétuels. À une heure notre espoir tomba. La cloche pour le départ sonna et remettant à plus tard notre libération nous prîmes le chemin de l’usine pour faire notre dernière journée de travail à Buna. Comme nous n’avions pas mangé à midi, Maurice nous envoya tout de suite organisé comme d’habitude. Quand nous arrivâmes à la Werkstatt, Harry et Paul nos camarades, P6 britanniques étaient depuis le matin au travail. Ils nous confirmèrent l’avance rapide des forces russes. Le maester (Ndt : Meister, contremaître) lui s’étant inquiété de notre absence avait téléphoné au camp. Le soir en rentrant, quelle ne fut pas notre surprise de voir la cuisine et la kammer en train d’être pillées. « Ça y est » me dit Henri, « on part ». « Je crois » lui répondis-je.

Right page Dans tout le camp les préparatifs commençaient. Toute organisation n’existait plus. Chacun prenait ce qu’il voulait, et toutes les huiles (kapos, blockalteste) se débarrassaient de ce qu’ils ne pouvaient emporter, en jetant à la foule des démunis gamelles, gobelets, chemise, pantalon etc. etc. L’évacuation envisagée devait d’après nous tous s’effectuer à pied. La nuit du15 au 16 se passa encore en préparatifs et au commencement de la journée du 16, les bobards de plus en plus grands se mirent à circuler ; les uns disaient qu’on était encerclés, les autres que nous serions abandonnés car un transport d’Auschwitz avait fait demi-tour etc. etc. Croyant déjà à notre très proche délivrance, notre espoir s’envola au son de la cloche de rassemblement pour le départ. Equipés le mieux que nous avions pu le faire, nous prîmes le chemin de la place d’appel puis de la porte par groupes de 100. Nous laissions 900 malades aux soins de 5 docteurs et 10 pflegers (NdT : infirmiers) au KB.

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Item 7

Left page Le courage et la volonté de résistance au cœur, nous commençâmes un dur et long voyage qui devait nous ramener à la liberté et au cours duquel plus des trois quarts d’entre nous devaient y laisser leur vie, leurs espoirs, leurs projets. C’était le jeudi 16 janvier 1945 à 16h30.

Sur la route de Gleiwitz

Le soleil se couchait, longeant l’usine. Lorsque nous arrivâmes aux portes d’Auschwitz la nuit nous enveloppait déjà. A travers les obscures ténèbres qui s’étendaient autour de nous, nous ne voyions rien. De temps en temps notre colonne était coupée par un jet de lumière, pour laisser passer des passants. Anxieux, j’attendais avec beaucoup d’autres qui croyaient possible que nous serions destinés aux fours de Birkenau. Enfin nous dépassâmes le tournant qui menait à l’endroit où furent commis les plus importants crimes hitlériens. Auschwitz se termine et nous entrons en pleine campagne.

Right page La campagne polonaise, le désert de neige où souffle le glacial vent de l’est. Jusqu’à ce moment, les SS n’avaient pas manifesté trop leur mauvaise humeur. Mais comme les premiers trainards commençaient à se faire voir, ils commencèrent à crier et à donner des coups. Le Rapportführer (NdT : responsable de l’exactitude des effectifs) qui commandait la colonne descendait et remontait celle-ci en moto en nous menaçant et en activant les postes qui nous gardaient. Toujours ignorant notre destination nous regardions les poteaux indicateurs. Tantôt c’était Kattowitz, tantôt c’était Breslau, et nous fûmes assurés que nous étions sur la route de Gleiwitz. La fatigue commençait à nous gagner ainsi que la faim. Cependant malgré tout cela, malgré les hurlements féroces des SS, le vent infernal qui soufflait, malgré le ciel étoilé d’où l’on entendait le ronflement des avions soviétiques, nous avancions remplis d’espoirs et de désespoirs, comptant patiemment un à un les kilomètres. Sur la route, les camions de la Wehrmacht en retraite nous doublaient ainsi que des véhicules de civils chargés comme étaient les nôtres en 1940.

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Item 8

Left page Nous commencions à nous demander l’heure, car nous espérions que nous aurions une halte au lever du jour. Il fallait tenir, et bientôt transformés en véritables automates, nous avancions sur la croûte glacée de la route, mettant un pied devant l’autre, ne voyant rien, n’entendant que les cris rageurs de « los, los, weiter gehen ». Les traînards augmentaient, l’heure s’avançait, les hurlements redoublaient. Impatients, nous attendions le jour. Enfin les premières clartés apparurent. Le soleil sauveur se levant peu à peu sur la campagne blanche qui nous entourait. Nous arrivions dans une ferme où les uns furent dispersés dans les granges tandis que les autres continuaient la route. Épuisé, dans la même position j'étais tombé sur la paille je dormis jusqu’à midi, la faim me réveilla et avalant deux fines tartines, j’attendis le signal du départ pour la deuxième étape. Nous avions déjà parcouru 55 km. Il nous en restait 25 à faire pour arriver à Gleiwitz. Nous reprîmes la route, après bien des coups, des attentes et des bousculades. Nous avancions plus que très lentement.

Right page Beaucoup atteints de dysenterie s’arrêtaient tous les 100 mètres et formaient à l’arrière de la colonne un groupe de traînards où s’acharnait la fureur des SS. Les uns tentaient de s’accrocher aux fourgons allemands qui nous doublaient, tandis que les autres se laissaient carrément tomber sur la route. Malgré cela, les kilomètres passaient quand même. Nous atteignîment les faubourgs de Gleiwitz longtemps après que la nuit était déjà tombée, et dans notre imagination chaque rare lumière que nous apercevions nous redonnait de l’espoir. Enfin on s’arrêta, et malgré l’obscurité et le désordre dans lequel nous nous trouvions, je vis notre colonne s’engouffrer comme un troupeau sauvage dans le camp de Gleiwitz I.

Dans le camp de Gleiwitz I

Une fois rentrés dans le camp, la porte fut fermée et notre première occupation fut de trouver un abri pour nous reposer. Les blocs étaient déjà occupés par des évacués d’autres camps, et naturellement

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Item 9

Left page pour trouver une place à l’intérieur, il fallut leur donner l’assaut. Vous vous étonnerez …Brisant les fenêtres, surmontant les coups de poing, de pied qui pleuvaient sur nous autres, les assaillants, nous nous infiltrâmes dans les baraques et l’obscurité d’encre qui y régnait. Tombant sur le plancher, nous pûmes plonger dans le sommeil, tandis que les plus faibles s’écroulaient dans la neige et attendaient patiemment la mort, leur délivrance. Le lendemain, la souffrance de la faim se montre plus forte. La plupart de nous n’ayant depuis longtemps plus à manger. Le second jour se passa de la même manière. Les SS furieux s’acharnait sur nous, nous faisant sortir des blocs pour nous faire rentrer à nouveau, tirant dans nos rangs, faisant des sélections pour nous effrayer, et tant d’autres supplices. Malgré cela, nous attendions, vainement, mais nous attendions. Les bobards circulaient comme d’habitude tandis que sur la route avoisinant le camp l’armée boche reculait. Le troisième jour des mesures d’évacuation commencèrent. Nous n’avions pas mangé.

Right page Anxieux, nous attendions. Mais les entreprises boches de tuerie étaient toujours bien calculées et bien organisées. Un à un nous sortions du camp. Nous recevions un morceau de pain et une fine rondelle de saucisson puis amenés le long d’une voie ferrée nous devinâmes comment nous serions transportés et nous attendîmes le train de 3h à 8h heures du soir dans la neige, ignorant toujours notre destination, et quels malheurs allaient encore nous arriver.

Le train cimetière ou le radeau de la méduse

Lorsque le train arriva, la nuit était déjà tombée, et un nouveau supplice apparut à nos yeux. Les wagons étaient ouverts (NdT : sans toît). Nous fûmes mis 130 par wagon. Et le train démarra. Tout d’abord, nous commençâmes par essayer de nous asseoir une fois, deux fois, cinq fois, dix fois. Il n’y avait rien à faire. Quand la moitié du wagon était assise l’autre moitié était debout.

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Item 10
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Item 10

Left page C’est alors que commencèrent les coups entre nous, la défense de chaque être pour son existence. Naturellement, les plus forts l’emportaient et assis dans un coin, d’autres étaient devant eux, les préservant des coups de ceux qui étaient debout. Pendant deux jours les choses se passèrent pour ainsi dire pas trop mal. La faim était supportable ainsi que la fatigue. Mais le troisième jour, ce deuxième ennemi, la fatigue, commença à se faire sentir et les faibles qui étaient debout se révoltèrent et attaquèrent les forts pour les obliger à céder la place. Coups de poings, de pieds, pleuvaient de toutes parts. Malheur à celui qui perdait l’équilibre. Piétiné, étouffé, lynché, il ne tardait pas à expirer, envié par beaucoup de nous qui ne voulaient plus vivre. Pour ajouter encore du mal à notre souffrance, lorsque nous arrivâmes en Tchécoslovaquie, les SS lancèrent au hasard dans nos wagons deux ou trois pains. Vous devinez je crois le résultat que cela fit. Des morts en plus, c’est tout. La soif nous minait aussi et à chaque arrêt nous tentions d’avoir un peu d’eau ou une gamelle de neige que nous nous passions.

Right page Le quatrième jour pour faire plus de place, sur les 60 morts que nous avions on décida de les jeter par-dessus le wagon. Mal nous en pris, on arrêta le train et il fallut aller les chercher et les reprendre avec nous. Le cinquième jour la neige se mit à tomber et la fatigue devint insupportable. Je me rappelle que tous, nous nous écroulâmes les uns sur les autres sans cris et sans coups. Ceux qui étaient en dessous et qui n’avaient pas la force de se relever périssaient étouffés tandis que les autres que la neige tombante couvrait rêvaient je ne sais à quels espoirs ou à quelle délivrance. Le sixième jour, la faim, nous ne la sentions plus et nous léchant la neige les uns sur les autres, incohérents, nous attendions. La sixième nuit vint, et je me rappelle que couché sur cinq morts je dormis de toutes forces ne sentant plus le plancher de bois du wagon mais un doux matelas. Enfin le septième jour nous arrivâmes.

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