Journal, 1945

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Left page À Buchenwald, et sur 56 qui descendirent du wagon, une dizaine encore tombèrent sur le chemin de la gare au camp. Nous étions arrivés, mais notre calvaire n’était pas terminé. Nous devions encore coucher trois jours dans la neige avec un litre de soupe par jour.

Dans le « petit camp » de Buchenwald

Le jour où nous passâmes la désinfection tant attendue je me rappelle que nous avions caché nos cuillères et nos couteaux car nous savions que l’on nous prenait tout. Quelle joie en sortant de la douche qui nous avait débarrassés de notre crasse de deux semaines. Amenés dans le block 58 c’est là que je m’aperçus que c’était la débâcle car dans tout le petit camp et le grand camp se promenaient des évacués de l’est et de l’ouest devant l’avance des forces alliées et qui racontaient des nouvelles qui donnaient du courage.

Right page Nous fûmes mis à deux mille dans un block : c’était horrible. Les baraques étaient complètement occupées du plancher au plafond, par 4 étages de planches où à 7 sur une longueur d’environ trois mètres nous devions prendre place. Tout le block était divisé en box où nous était distribuée la nourriture. Mais cette méthode ne dura pas longtemps car il y avait des resquilleurs, des vols ainsi que beaucoup de tueries entre nous. Une nouvelle méthode fut employée. Nous recevions chacun un jeton et nous passions un à un dans une grande salle où nous recevions à manger une fois par jour. Mais la plus terrible de toutes nos souffrances, c’était l’appel. L’interminable appel dans la neige ou la boue avec une chemise légère à rester debout pendant 2 ou 3 heures. Le système de torture employé par les SS dans tous les camps menait beaucoup d’entre nous à une dégradation d’esprit, à augmenter notre affaiblissement et à préparer une nouvelle

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Item 12

Left page tuerie en entrant dans le block. Souvent quand l’appel n’était pas juste ou que le Blockführer (NdT : chef de block SS) n’était pas satisfait nous ressortions et l’appel recommençait. La nuit dans ces blocks que l’on pourrait comparer à des écuries ou à d’autres abris pour les bêtes, nous étions tassés, grelottant de froid sans couverture. Comme c’était en février et qu’il faisait 25 degrés en dessous de zéro, il était impossible de se trouver à l’étage inférieur tellement on y gelait. Aussi comme nous étions trop nombreux pour la place qu’il y avait, les plus forts allaient sur les poutres qui soutenaient le plafond et prenaient leur repos comme l’aurait fait Tarzan sur un arbre. Tous les jours la mort faisait des ravages et augmentait le nombre de victimes. Le four crématoire brûlait jour et nuit et une flamme sortait de la cheminée. Dans l’enceinte qui l’entourait étaient entassés des milliers de cadavres amenés des trains, des blocks, du Revier (NdT : infirmerie) et attendaient le rôtissage.

Right page Autour des cuisines, c’était des coups qui pleuvaient, des combats à mort qui s’engageaient pour une épluchure de rutabaga ou de pomme de terre entraînés par les crises de folie de la faim qui nous prenaient. Je me rappelle qu’un camion de betteraves suivi d’une charrette d’ordures furent pris d’assaut par un kdo partant au travail et qu’il y eut des morts les SS ayant ouvert le feu. Dans nos moments de répit, si peu nombreux soient-ils, nous discutions de menus interminables, imaginaires, extraordinaires, de toutes les cuisines européennes et mondiales, appréciant, méprisant, détestant ce plat-ci ou ce plat-là, rêvant en nous-mêmes à une poignée d’épluchures pourries ou à un os trouvé quelque part dans quelques ordures. Dans notre esprit d’affamés, nous nous enviions les uns les autres, trouvant que celui-ci avait une grande ration de pain, celui-là un bon litre de soupe, une bonne veste, une bonne chemise. À la fin de février, je fus désigné pour un kdo de spécialistes mécaniciens et envoyé dans un camp à 60 km de Hanovre. Comme je m’en doutais à l’avance, connaissant les méthodes des SS, le travail

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Left page qui devait être en usine, était tout simplement pour nous faire plus souffrir et augmenter les morts. Il fallait abattre des arbres et construire des usines souterraines de V1 et V2 dans des conditions vraiment très difficiles à supporter.

Dans le camp de Holzen

Le camp de Holzen, situé à 60 km de Hanovre, avait été construit en 1944 par un kdo de déportés français et russes sur le flanc d’une colline dominant un petit village. Les prisonniers qui restaient, car les 3/4 étaient morts en hiver, lorsque nous les vîmes nous fixèrent déjà sur les conditions d’existence. Le matin à 6h00 en partant au travail, nous recevions un morceau de pain et une bouchée de saucisson. Le plus proche lieu de travail était à 7km du camp et le chemin à suivre très accidenté et difficile ; montées en forêt, dans la boue, fossés, ruisseaux etc. etc. Durant toute la journée il fallait travailler sans repos de 9h00 à 17h00 sous les coups et les injures. Le travail était très dur : abattre des arbres,

Right page creuser des fossés, les cimenter, transporter des pièces de béton, charger, pousser et décharger des wagonnets avec un maximum de vitesse et de rendement. Le soir rentrés au camp il était à peu près impossible de se laver car nous n’avions pas d’eau ou presque, et fatigués et épuisés comme nous étions, nous préférions aller nous asseoir. Dans le Revier, tous les soirs c’était la queue pour les pansements faits de papier, les admissions à l’infirmerie. Puis c’était la distribution de la soupe, les calculs pour avoir les fonds de caisson, une louche entière, une soupe épaisse. Puis c’était les envies et le mauvais œil qui nous torturaient les uns les autres. À tout cela il fallait ajouter l’usure de nos vêtements et de nos sabots dans l’impossibilité d’être réparés et surtout la saleté et la pourriture dans laquelle nous vivions. Dans le Revier, c’était un supplice qui nous amenait à la folie. Des milliards de poux nous dévoraient, des phlegmons, des abcès, suppuraient à flots sans aucuns soins. La nuit, durant les alertes, chacun volait à un autre

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Item 14

Left page qui se trouvait le lendemain dans un terrible désespoir. Et malgré cela nous vivions encouragés par le canon qui tonnait et se rapprochait, par les escadrilles de bombardiers alliés qui passaient dans le ciel, vers Hanovre, maîtresses du ciel. Je restais un mois à Holzen, puis nous furent évacués de nouveau à Buchenwald, devant l’avance des forces anglaises. Quelle joie de se retrouver à Buchenwald que nous avions tant regretté.

Deuxième séjour à Buchenwald

En arrivant à Buchenwald, les premiers camarades que nous rencontrâmes nous annoncèrent que les alliés n’étaient pas loin et qu’ils seraient là dans une quinzaine au plus. D’ailleurs ces bruits nous parurent bientôt réels car il n’y avait plus d’appel, et nous entendions le canon. Dans le block 52 qui nous avait été assigné, la situation

Right Page était terrible. Les SS ne s’occupaient plus de nous : nous étions complètement abandonnés à nous-mêmes. Le 7 avril à l’aube par un temps radieux les premières mesures d’évacuation furent prises. Sous les coups, les occupants du petit camp montaient sur la place d’appel puis sortaient et ainsi de suite. Nous étions alors vers 60 000 à Buchenwald et je calculais bien qu’il était impossible de nous évacuer tous soit par train soit à pied. Il aurait fallu trop de wagons et à pied les américains nous auraient vite rattrapés. Après deux jours de cette méthode les SS nous rassemblèrent tous à l’extrémité du camp et nous parquèrent sur une faible surface dans des conditions misérables. Quarante mille hommes environ sur une surface d’environ 1 km². C’est alors que j’assistai à la plus grande tuerie entre nous. Les ukrainiens attaquaient tout autre prisonnier qui avait quelque chose qui leur plaisait, déshabillaient leur victime et l’abandonnaient ainsi. Les français groupés ensemble, nous étions prêt à toute agression. Cette situation nous donnait des craintes. Les SS nous parquaient ainsi, et peut-être ne pouvant pas nous emmener tous, ils massacreraient ceux qui resteraient. Les fours crématoires ne fonctionnaient plus et le kdo « totaullen » travaille sans

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Item 15

Left Page arrêt. Depuis notre parcage l’évacuation avait cessé et à l’aube du 9 elle a repris. Les lagerschutz (NdT : gardiens de protection) français un peu avant la porte retiraient leurs compatriotes et les rassemblaient dans un coin, pour gagner du temps, et si nous serions évacués pour ne pas subir la menace des autres internés, surtout dans les wagons. Enfin notre cœur bondit de joie lorsque nous reçûmes l’ordre de rejoindre notre block. Le lendemain l’évacuation cessa complètement. Et impatients nous attendions en regardant les avions alliés piquant dans le ciel, nous pensions à notre si chère libération. Le retour

C’est dans l’allégresse que la première étape sur la route du retour fut effectuée. Des camions de la mission de rapatriement étaient venus nous chercher. Quelle joie d’être libres enfin libres ; de pouvoir chanter la Marseillaise, le Chant du départ, l’Inter, dans les villes boches que nous traversions et qui ne sont plus des villes, mais des fantômes de ville, des ruines au milieu de pans de murs ravagés par les incendies. Avec quelle soif de vengeance nous voyions à leur tour les boches faire la queue pour les rutabagas, déblayer les rues pour laisser passage aux troupes

Right Page d’occupation. Avec quelle rage nous pillions les villas, les fermes où les occupants vivaient comme des rois de tous les produits qu’ils avaient volés, après avoir torturé et affamé tous les pays qu’ils avaient dévastés. Dans leurs casernes, des monceaux d’équipement étaient en stock. Hitler avait tout préparé pour soumettre le monde entier à sa doctrine. A Mayence, priorité parmi les rapatriés aux déportés de Buchenwald. Nous prenons le train qui nous ramènera en France, jusqu’à Longuyon, puis jusqu’à Paris. La France attendait notre retour et nous accueillit chaleureusement. C’était le rêve d’une chose incroyable.

Conclusion

L’Allemagne a voulu asservir le monde mais heureusement elle n’a pas atteint son but. Elle a puni d’une façon odieuse et impardonnable ceux qui lui résistaient. Beaucoup de déportés ne reviendront pas, n’ayant pu supporter toutes ces souffrances. Il faut que l’Allemagne soit châtiée sans pitié. La poursuites des criminels de guerre dans le monde entier doit être un devoir sacré pour tous les survivants des bagnes hitlériens et pour tous les hommes qui croient au respect de la justice et de l’humanité.

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